Prepared Piano/Voice

« Aérienne, diaphane et atmosphérique, sa musique évolue entre folk, minimalisme et électroacoustique. Le piano est rempli d’objets divers, boîtes de métal, billes, balles de ping-pong, papier d’aluminium, vis… que la musicienne déplace réguièrement, et boucle par moment dans un looper, offrant une texture de fond à ses incantations – un frottement continu d’aluminium accompagne un des morceaux. La musique de Delphine Dora évolue entre harmonies modales et atonalité, sans accroc, dans une sorte de fragilité, à la manière d’une brume suspendue qu’une simple brise pourrait dissiper dans l’instant. »
Guillaume KosmickiAutres Mesures, un festival hors du temps

« Henry Cowell est le premier compositeur a ouvrir le corps du piano pour y disposer des objets sur les cordes et en altérer les sons, les transformer. John Cage développera cette approche de préparation du piano à partir de 1937, suite à une commande pour un ballet de la chorégraphe Syvilla Fort. Cage le voyait comme un ensemble de percussions dans un seul instrument, les différents matériaux utilisés donnant la couleur du son généré (bois, métaux, papiers, verres …), modifiant hauteur, durée, intensité, attaque, spectre harmonique des notes jouées. Ce qui ouvrira de nouveaux possibles à de nombreux pianistes : John Tilbury, Antony Pateras, François Tusques, Sophie Agnel …

Delphine Dora joue sur des pianos classiques depuis son enfance, plus tard improvisera, se racontant des histoires qui apparaissent et disparaissent sur les touches noires et blanches, jeux d’arpèges et de clusters déconstruits, et par sa voix singulière, reprenant les poètes du siècle passé : Ingeborg Bachmann, Walt Whitman, Anna Akhmatova, d’autres fois d’une langue inventée … Son jeu se nourrit des nombreuses formes que la musique à pu prendre au cours de ces derniers siècles : minimalisme, jazz, folk, musique expérimentale, romantique … aussi de lointains géographiques. Ne s’obligeant à rien d’autre que d’accueillir l’impromptu et d’être libre, débarrassée des écoles et de leurs contraintes.

Puis, arrive aujourd’hui ce moment où les ritournelles ont trop tourné en elle, le besoin d’ouvrir à son tour le corps de son instrument, de fouiller ses viscères, de le transformer au gré de ses fantaisies, elle veut réinventer son instrument, ouvrir de nouveaux possibles sonores, ne pas rester figée dans ce qu’elle a toujours su merveilleusement faire : une improvisation sur le seul clavier du piano, inventant ses gammes saturniennes. Le piano préparé s’offre à elle ; des gommes, clous, papiers, billes, pinces à linges, e-bows, dans ses poches, bientôt entre les cordes, déplaçant, replaçant, posant ou enlevant ce bric à brac de ce cadre noir, frottant, grattant, glissant sur les cordes apparentes. Le jeu improvisé rencontre l’exploration du son, l’obligeant à trouver de nouveaux modes de jeux radicaux souvent percussifs, le geste n’est plus le même, il s’ajoute à la mémoire de ses mains, celles qui dessinaient de sublimes mélodies qui m’évoquaient Erik Satie, ce pure suspens du temps. Pour autant ces nouvelles pièces pour piano préparé et toutes ces techniques étendues sur l’instrument, ne sont pas seulement une simple recherche des frontières et limites du piano, elles en cherchent la musique, à dire, à nous dire, à nous emmener avec elles.

Et puis ce qui n’est pas si commun dans la pratique du piano préparé, Delphine Dora chante sur ce grand corps noir désarticulé, ouvert, sa voix s’accordant à tous ses bruits intimes, grinçants, du piano, que les académies voulaient tenir voilés, effacer de notre écoute, obsédé par le son pur de l’instrument, sa ligne clair. Elle choisit de continuer à associer sa voix et ses langues imaginaires au piano préparé, quand la plupart des pianistes qui le pratiquent, ne se concentrent que sur les préparations, se coupant du poétique, leurs corps silencieux, la voix aphone. Ces sons « impurs » du piano s’enlacent à sa voix, accompagnent sa langue imaginaire, ses glossolalies, chuchotements, souffles, pour de nouvelles ritournelles, poésies sonores ouvrant sur l’inouï, sur des paysages imaginaires. »

Michel Henritzi.

Piano préparé, voix : Delphine Dora 
Enregistré au Periscope, Lyon du 27 au 29 juin (résidence) 
+ extraits du live au Periscope, Lyon (29 juin 2022) 

Extraits pour un futur disque à venir…