Review by Brad Rose (Foxy Digitalis) :
« Quiet, intimate moments become points of departure on this 32-minute spell from the always great Delphine Dora. There’s something cryptic in the way she weaves disparate musical elements into the everyday sounds scratching their way into the forefront. A distant melody is ghostly adding to the feeling that A l’abri du monde is haunted as if Dora accidentally captured a hidden world from long ago in these recordings. There are so many ideas here to digest and explore that the journey feels different each time I listen. »
Allnightflight records :
« Another pearl on Jon Collin’s Early Music press, this time from French composer, improviser and multi-instrumentalist Delphine Dora. The full length piece ‘A l’abri du monde’ was recorded ’19 and ’21 from around the French ecological park Val d’Allier Ecopole. It captures the both the human and natural elements of the reserve and interrogates the relationship between the city (and its inhabitants) and the natural ecosystem – wind flutters whilst birds chirp, a remote control car whizzes by and conversations hover. Full disclosure, I’m a total sucker for this stuff – where the boundaries of everyday sound environments are frayed and augmented – hovering subliminally where the tinkering of piano keys amongst the bustle of city life take on extra significance. Here Dora subtly deploys the instruments and electronics in her arsenal to deft effect, super low-level drones and flutters of prepared ivory keys placed and collaged carefully within the natural sound picture. It’s a piece of music we should wish would go on for infinity, similar in approach to Pierre Mariétan’s street level musique concrete epic ‘Rose Des Vents’, Graham Lambkin / Jason Lescalleet or the more recent calming tonic from The Gerogerigegege on The Trilogy Tapes where less certainly leads to more. Too good.. handmade edition of hardly any. »
« Last spring, I was commissioned by Radio France to produce a radio musical work for a France Musique program (Création Mondiale hosted by Anne Montaron). There was a partnership with INA GRM, where I was invited to do a one-week residency in their studio to compose a 10-minute electroacoustic piece, in the form of 5 fragments of 2 minutes each. I chose to title my piece « Dreaming the Imperceptible », a partial nod to the American activist Starhawk’s book « Dreaming the Obscure », whose title I took up a bit – but with a totally derivative intention. The initial constraint that I had set myself was to start with night sounds from my environment. Are night sounds different from day sounds? In fact, I think that there is an intrinsic difference but does the perception also differ from the lack of visibility? In fact, at night, sounds are quieter, everything takes on a tiny dimension. The complete darkness makes that we are in an acousmatic situation where the sounds move away from the visible. I wanted to pay attention to these micro-phenomena of sound that we do not pay attention to during the day. At night, we have the impression that nothing happens, we have the impression that nature is inert. But in reality, it vibrates, it speaks to us, but in a whisper.
I wanted to create miniatures in the heart of the imperceptible sound from this slightly evanescent matter that I had captured, modulated with modular synthesizer sounds, and my voice. I wanted to approach the synthesizer from this point of view – proper to the meditation, with this constraint, that forced me to specify my gesture. I used the modular synthesizer as a brush that allowed me to underline the properties of natural sound, to enter into resonance, to melt but also to deform it. I wanted to arrive at a slightly distorted perception of the landscape, a landscape that was a little more interiorized. A landscape which is the reflection of an experience lived in a subjective way, where the visual field is reduced but allows to reach other phenomena of perception. To pass from something figurative to abstract and mental elements. »
1. « rêver l’imperceptible » : Commande Radio France (France Musique) en partenariat avec l’INA GRM (2021)
Emission Création Mondiale l’Intégrale :
www.francemusique.fr/emissions/creation-mondiale-l-integrale/rever-l-imperceptible-de-delphine-dora
2. « Chiaroscuro » : Composition créée dans le cadre du concours « GRM Découvertes 2020 »
CHRONIQUES DE POURPRE :
» Face A : écouter cette face est difficile, non la musique n’est ni violente ni perce-oreille, mais il y a comme un problème, il n’y a rien. Attention cela ne signifie pas que vous êtes confronté à vingt minutes de silence, nous ne sommes pas chez John Cage, mais avez-vous réfléchi à la manière dont vous exprimeriez ( par exemple en peinture ) un lieu, je ne dis pas un endroit précis ( la Tour Eiffel, une maison hantée ) ou vague ( un coin de campagne, une rue ) non un lieu qui contienne tous les lieux, un lieu que vous décrivez, non pas un endroit qui pourrait servir de décor de cinéma, mais cette notion de lieu qui s’applique à tous les lieux. Les esprits rebelles s’insurgeront, pour que lieu ait lieu une présence humaine est nécessaire. Delphine Dora répond à cette objection : elle vous emmène au cinéma, elle triche un peu, un film sans image, elle est musicienne, elle n’a gardé que la bande-son, mais le son n’est pas très fort, le danger serait que l’auditeur visualise les scènes et reconstitue dans sa tête par exemple les meubles de la pièce qui ne sont pas expressément nommés dans le dialogue, pas trop de danger l’extrait de Zserelem est donné en langue originale, le Hongrois. Et la musique alors ? Toute douce. Discrète. Avec de légers arrêts. Pas une suite continue. Une voix lointaine, comme venue d’on ne sait où. Qui vient, qui croît, qui redescend. Qui se tait qui repart. Ne restent que des pépiements d’oiseaux et des notes de piano qui résonnent dans le vide, une voix qui chante comme si elle ne se souciait pas de l’instrument. Quand les notes atteignent une certaine densité la voix se rapetisse. Le film s’est arrêté depuis un moment, preuve qu’il n’était pas nécessaire, a servi de guide pour vous mener au centre du lieu, et le chant tourne autour de vous comme s’il voulait vous isoler dans le milieu du lieu, au milieu de rien. Peut-être faut-il faire l’expérience du vide pour saisir le lieu. C’est maintenant que surgit le bruit, des bruits, pas des pétarades, des tapotements, ne marcherait-on pas quelque part et ce bruit soudain de voix de quelqu’un qui parle, incompréhensible – exactement comme ces enregistrements que les chercheurs diplômés recueillent sur des bandes dans des lieux dits hantés ou bizarres – non nous ne sommes pas dans un film à frousse, mais il faut bien donner la parole à cette notion de lieu, en quelque sorte recueillir l’esprit du lieu, Dora ne chante plus, elle pousse de doux cris harmonieux, peut-être sont-ils semblables au chant du cygne qui se meurt, insistances prolongées d’orgue, tintements, le lieu se manifeste-t-il, la musicienne s’est-elle transformée en la voix du lieu, en l’esprit du lieu, est-ce elle qui est dans le lieu, où est-ce le lieu qui est en elle, des notes comme une pendule qui ne marquerait plus le temps mais le bruit du temps, des notes joyeuses scintillent, un bourdonnement les remplace, la-la-la, le moteur de la machine à avaler le temps ronronne. Plus rien. A-t-on touché l’esprit du lieu qui nous livrera le lieu.
Face B : une voix, accompagné de sourds tambours, Delphine Dora lit. Des extraits de Vents de Saint John Perse. Nous devrions être dans le lieu de l’Esprit, mais l’esprit souffle où il veut, Vents est une épopée, celle de la partance, du désir de la race humaine de parcourir la terre, de fonder des civilisations qui engendrent les conquérants propres à entraîner leur peuple en une grandiose anabase. Cet élan de l’Homme à dépasser le songe des Dieux, Delphine Dora presque le chuchote, pose les mots telles des traces de pas sur les dunes qui prouvent que l’on est passé par là, que l’on est maintenant plus loin. Refus de se laisser enfermer dans l’immobilisme d’un lieu, car la terre entière est le lieu de l’Homme. Peu à peu la musique souffle plus fort comme si elle voulait effacer les vestiges de l’homme. Peut-être parce que l’homme se mesure aux Dieux, oubliant qu’il n’est qu’une chose périssable. Maintenant la musique imite le vent. Ritournelle, tout ne se vaut-il pas, les arpèges d’Haendel ou le bruit d’une roue de vélo. Tout n’est-il pas égal à zéro. Violoncelle funèbre pour accompagner Immer Dunkler de Trakl. Le poëte du déclin, Trakl et ses poèmes de l’enténébré, Trakl qui au travers des horreurs de la guerre de 14 a perdu confiance en l’Homme, ce qui ne serait pas si grave s’il n’avait pas surtout perdu depuis longtemps confiance en lui-même, la musique se gondole comme une roue voilée, elle meugle et mugit telle une vache qui a perdu son veau, gouttes de pluie et de tristesse, mélancolie, tristesse, toujours plus sombre, Trakl dont la lecture d’Heidegger a révélé que le regret de l’enfance perdue est celui d’une maison calme et bien chauffée sise au croisement de la terre et du ciel, des hommes et des Dieux, Georg Trakl est mort de cette perte irrémédiable, le lieu de l’esprit résiderait-il en ce carrefour métaphysique, ou en nous-même aussi inaccessible que l’ancien paradis, Delphine Dora prend la parole : il est temps de tirer un trait sur cette poésie inquiète et sa voix prend des couleurs, elle plaide pour un retour vers le réel, pas la grossière réalité des journalistes éparpillés aux quatre coins du monde, le lieu est en nous, dans le renouement à tout ce qui nous relie au monde et aux autres, elle ne le proclame pas, elle dit sans colère, sans emphase, le lieu est le réel, il est partout, il porte en lui les fragments du passé et il nécessite la restauration d’un ordre différent. Et la musique demanderez-vous. Elle est devenue, ce qu’elle a voulu. Pour une fois le son a transcendé le sens.
Encore une œuvre ambitieuse. A écouter attentivement et à méditer longuement. Ces deux pistes de cassette n’expriment-elles pas la ligne de partage entre poésie et musique. Avec ce tour de force dans la A de faire de la musique le vecteur de l’inexprimable métaphysique de toute essence et dans la B de mettre en scène par le dire de la poésie le nihilisme de la poésie elle-même, le lieu étant positionné dans les îles de séparation et de convergence formées par le limon des deux fleuves, celui qui porte le son, celui qui charrie le sens, deux géants qui se combattent et s’entrelacent afin de mieux se séparer, pour mieux se réunir et recommencer leur infini manège. L’entre-deux n’étant que les îlots infertiles de ce que l’on nomme le réel. D’où la nécessité d’aller puiser de l’eau aux deux numinités créatrices pour rendre ces terres stériles habitables. »